jeudi 29 janvier 2015

Zomia

James C. Scott Zomia ou L'art de ne pas être gouverné. - Seuil, 2013.

La Zomia est une notion géographique récente. Il s'agit d'une zone environ vaste comme l'Europe, qui couvre une grande partie de l'Asie du Sud-Est, à cheval sur plusieurs Etats, de l'Inde à la Chine en passant par la Birmanie, la Thaïlande, le Laos et le Vietnam.
Très accidentée, les collines de cet ensemble ont servi pendant des siècles de zone refuge à une très grande diversité de peuples dont la principale caractéristique commune aura toujours été un extrême souci d'indépendance, au mépris, parfois, de tout intérêt pratique ou économique. Selon le schéma évolutionniste classique, ces peuples des collines, qu'on les nomme Hmong, Karènes, Lisu, Miao..., ont longtemps passé pour les ultimes représentants d'un mode d'existence archaïque, supplanté par le mode "évolué" de l'agriculture sédentaire. Selon James C. Scott, il n'en est rien : tout laisse au contraire à penser que le mode de vie des habitants des collines serait bien plutôt une construction contemporaine de la formation des Etats, une sorte d'art de la fuite à l'usage de communautés et d'individus réfractaires à toute idée d'autorité centrale. A l'Etat-Rizière soucieux d'accroître et de fixer sa population s'opposeraient les Collines, dans un échange constant de biens et de personnes, au fil des intérêts économiques et politiques de chaque communauté. Gagner les collines serait donc d'abord un choix, forcé ou non, mais toujours motivé par une volonté d'émancipation dont le livre, au fil d'analyses précises et argumentées, dévide les multiples stratégies : extrême mobilité des habitants, volatilité de l'autorité communautaire, diversification des moyens de subsistance, flou soigneusement entretenu des identités ethniques selon les besoins du moment et jusqu'au refus assumé de l'écriture, essentiellement vécue comme un moyen de contrôle supplémentaire. Face au "civilisé" des plaines, cloué à sa rizière, imposable et corvéable, le sauvage des Collines représente à la fois plus et mieux qu'un simple double inversé : un recours.
Professeur de sciences politiques et d'anthropologie à l'université de Yale, James C. Scott, à l'instar d'un Howard Zinn ou d'un Richard White, est l'un de ces intellectuels qui remettent en cause l'histoire étatico-centrée dont nos civilisations font bien souvent leur socle, pour la rendre à des populations dont la vérité est souvent bien moins rectiligne que ceux qui y ont intérêt voudraient nous le faire croire.


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