David Dufresne Tarnac, Magasin général. - Calmann-Lévy, 2012.
Pour toutes les raisons qui sont à l'origine de nos Délaissés,
il n'était évidemment pas question de passer à côté de ce livre. Le
journaliste indépendant David Dufresne, auteur notamment de l'étonnant
webdocumentaire Prison Valley, a "couvert" dès le début l'affaire
de Tarnac, sans doute l'une des plus symptomatiques de ces dernières
années dans ce qu'elle agite de passions et de manipulations de tous
ordres. En allant à la rencontre de tous les protagonistes, y compris
magistrats et policiers et en reprenant un à un chaque élément de
l'enquête, jusqu'aux procès-verbaux de filature et d'interrogatoires,
David Dufresne ne cherche bien évidemment pas à décider de la
culpabilité ou non des "de Tarnac" quant aux faits qui leur sont
reprochés, mais bien plutôt à comprendre comment et, surtout, pourquoi
une affaire aussi mineure en elle-même a pu prendre de telles
proportions. Ce qu'il interroge, sur fond de guerre des polices, c'est
l'emballement d'une machine politico-médiatique dont les dirigeants
jouent à se faire peur, les dysfonctionnements - ou, plutôt, le trop bon
fonctionnement d'un appareil répressif dont le seul tort, finalement,
est de se voir mis en lumière par des circonstances exceptionnellement
favorables aux accusés. Où est la vérité ? On ressort de cette lecture
sans avoir forcément mieux compris le fond de l'affaire mais avec le
sentiment d'avoir soulevé une grosse pierre sous laquelle s'agite toute
une faune d'habitude invisible et vaguement répugnante. On aura surtout
perçu la très grande singularité de ce dont bon nombre de gens, d'un
côté comme de l'autre, ont fait très vite une affaire personnelle.
Et c'est la grande originalité de ce livre sans scoops que de mettre en
avant l'implication des protagonistes, jusqu'à l'auteur lui-même, qui
n'hésite pas à entrer dans le champ à la manière du journalisme gonzo
pour mieux mettre son propre rôle en perspective, avec ce que cela
suppose d'empathie, de subjectivité et, peut-être, d'intoxication. Car
de l'intox, il y en a certainement de la part des uns ou des autres. Une
guerre est en cours et ce livre ne prétend pas s'en extraire. David
Dufresne sait que, quelles que soient ses précautions, son livre
peut être instrumentalisé pour devenir l'un des éléments de cette
guerre. En bon correspondant, s'il ne prend pas parti, il ne refuse
cependant pas de choisir son camp. Celui des vivants. Le nôtre.
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