jeudi 29 janvier 2015

Tarnac, Magasin général

David Dufresne Tarnac, Magasin général. - Calmann-Lévy, 2012.

Pour toutes les raisons qui sont à l'origine de nos Délaissés, il n'était évidemment pas question de passer à côté de ce livre. Le journaliste indépendant David Dufresne, auteur notamment de l'étonnant webdocumentaire Prison Valley, a "couvert" dès le début l'affaire de Tarnac, sans doute l'une des plus symptomatiques de ces dernières années dans ce qu'elle agite de passions et de manipulations de tous ordres. En allant à la rencontre de tous les protagonistes, y compris magistrats et policiers et en reprenant un à un chaque élément de l'enquête, jusqu'aux procès-verbaux de filature et d'interrogatoires, David Dufresne ne cherche bien évidemment pas à décider de la culpabilité ou non des "de Tarnac" quant aux faits qui leur sont reprochés, mais bien plutôt à comprendre comment et, surtout, pourquoi une affaire aussi mineure en elle-même a pu prendre de telles proportions. Ce qu'il interroge, sur fond de guerre des polices, c'est l'emballement d'une machine politico-médiatique dont les dirigeants jouent à se faire peur, les dysfonctionnements - ou, plutôt, le trop bon fonctionnement d'un appareil répressif dont le seul tort, finalement, est de se voir mis en lumière par des circonstances exceptionnellement favorables aux accusés. Où est la vérité ? On ressort de cette lecture sans avoir forcément mieux compris le fond de l'affaire mais avec le sentiment d'avoir soulevé une grosse pierre sous laquelle s'agite toute une faune d'habitude invisible et vaguement répugnante. On aura surtout perçu la très grande singularité de ce dont bon nombre de gens, d'un côté comme de l'autre, ont fait très vite une affaire personnelle. Et c'est la grande originalité de ce livre sans scoops que de mettre en avant l'implication des protagonistes, jusqu'à l'auteur lui-même, qui n'hésite pas à entrer dans le champ à la manière du journalisme gonzo pour mieux mettre son propre rôle en perspective, avec ce que cela suppose d'empathie, de subjectivité et, peut-être, d'intoxication. Car de l'intox, il y en a certainement de la part des uns ou des autres. Une guerre est en cours et ce livre ne prétend pas s'en extraire. David Dufresne sait que, quelles que soient ses précautions, son livre peut être instrumentalisé pour devenir l'un des éléments de cette guerre. En bon correspondant, s'il ne prend pas parti, il ne refuse cependant pas de choisir son camp. Celui des vivants. Le nôtre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire