jeudi 29 janvier 2015

Brouillon pour un dictionnaire des amantes

Monique Wittig & Sande Zeig Brouillon pour un dictionnaire des amantes. - Grasset, 2011.

Jamais réédité depuis sa première parution en 1976, voici que ressort le Brouillon pour un dictionnaire des amantes et je l'ajoute immédiatement, des deux mains et sans barguigner à la Bibliothèque des Délaissés.
Ecrivain et activiste, Monique Wittig fut une pionnière du féminisme français, l'une des fondatrices du MLF, qu'elle ne tarda pas à déborder sur sa gauche en posant ouvertement la question lesbienne et en créant divers groupes "dissidents" (les Petites marguerites, les Gouines rouges, les Féministes révolutionnaires...) Plus tard, installée aux États-Unis elle investit le champ des gender studies et de la queer theory, ce qui l'amène, en 1978, à prononcer sa célèbre formule : "les lesbiennes ne sont pas des femmes" (i.e. la notion de femme n'est qu'une construction, un rôle social qui ne prend sens que dans le cadre de la relation hétérosexuelle de domination). C'est cela même qui est au cœur de ce Brouillon même si, au premier abord, il peut paraître un peu marginal vis-à-vis de l'œuvre littéraire et théorique de Monique Wittig. En contrepoint des Guérillères et de La pensée straight, il se propose rien moins que de fonder une véritable mythologie du lesbianisme, de manière à la fois sérieuse et souvent amusée, comme on savait parfois l'être en ces années politiques. D'une entrée à l'autre, reprenant parfois des passages entiers comme une sorte de litanie, s'inspirant aussi bien des Grecques que de leurs contemporaines, Zeig et Wittig égrènent sans l'épuiser l'interminable chapelet des tribus et des Empires, dessinent en pointillé le terrain de jeu d'un Âge d'or où combattaient et s'aimaient les antiques Amazones, avant qu'un "très grand nombre d'amantes rompant l'harmonie originelle se sont appelées des mères". Il y a quelques chose d'intensément jubilatoire à cette recréation du monde - cette récréation du monde, pourrait-on dire, tant le plaisir pris à l'écrire est visible à chaque ligne. Le plaisir ou peut-être la même joie désinvolte que dut ressentir un jour celle qui, à la question de savoir comment naîtraient les petites Amazones d'une société sans hommes, répondit avec tout l'aplomb que confère l'évidence : "par l'oreille".

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